Au Maroc, la production de cannabis médical attendue comme un remède
Après avoir autorisé l'usage médical du cannabis, le Maroc étudie les premières candidatures d'industriels intéressés.
S'extirper de la précarité. C'est le souhait des agriculteurs marocains dans le Rif. Mais les temps sont durs pour les cultivateurs locaux, dont l'activité, tolérée bien qu'elle soit officiellement interdite, pâtit de la concurrence du chanvre produit en Europe et de "lenteurs" dans la mise en oeuvre d'une loi adoptée en 2021 légalisant le cannabis thérapeutique.
"On reste attachés à cette plante et pourtant elle ne nous rapporte plus rien", se désole Souad (son prénom a été modifié), cultivatrice de chanvre à Azila dans la commune de Ketama. "Plus personne n'en veut!". "On est loin des années fastueuses. On vivote dans des conditions difficiles", confie cette veuve sexagénaire qui continue d'aider ses fils à défricher le lopin de terre familial.
Resserrer l'étau
Le Maroc, premier producteur mondial de haschich selon l'ONU, s'efforce de resserrer l'étau autour du juteux trafic de cannabis, en misant sur la loi adoptée en 2021 qui encadre ses usages industriel et médical. Ce complexe chantier n'en est qu'à ses prémices mais, à terme, l'objectif est de couper l'herbe sous le pied des trafiquants et se positionner sur le marché mondial du cannabis légal. Le gouvernement souhaite également désenclaver économiquement la région déshéritée du Rif, où le chanvre est cultivé depuis des siècles.
"Le marché a drastiquement chuté. Il ne nous reste plus que la prison", ironise Karim (prénom modifié) qui n'a pu faire fructifier cette année qu'une partie du terrain familial à Azila, "faute de suffisamment de demande et d'eau (à cause d'une sécheresse historique: ndlr)". Les revenus agricoles annuels du cannabis sont passés d'environ 500 millions d'euros au début des années 2000 à moins de 325 millions d'euros en 2020, d'après une étude du ministère de l'Intérieur publiée en mai 2021.
"Maillon faible"
"L'agriculteur a toujours été le maillon faible de la chaîne, c'est nous qui payons les pots cassés, mais la légalisation peut être une issue", estime Karim. Outre le risque de terminer en prison, les cultivateurs ne reçoivent que "4% du chiffre d'affaires du circuit illégal" contre potentiellement "12% sur le marché légal", selon des estimations officielles relayées par l'agence MAP en 2021.
Souad voit aussi dans le cannabis licite une planche de salut. "Si c'est sérieux c'est une bonne chose", lâche-t-elle. A Azila comme dans d'autres douars rifains, l'effet de la nouvelle législation n'est pas encore perceptible. "A l'heure actuelle, rien n'a changé pour nous. On est toujours considérés comme des malfrats, des criminels, alors que nous ne sommes que des agriculteurs", déplore Nourredine (prénom modifié), un autre cultivateur.
Mais les autorités se veulent rassurantes. "Il peut y avoir de l'appréhension mais la légalisation va la dissiper car elle va bénéficier aux cultivateurs", assure une source officielle à Rabat, sous couvert d'anonymat.
"Belles choses"
Pour la mise en oeuvre du projet, "il est important de ne pas se précipiter", arguent néanmoins les autorités: "Il y a des étapes à respecter". Dans un premier temps, une dizaine d'autorisations seront délivrées à des industriels marocains et internationaux pour la transformation du cannabis à des fins thérapeutiques, précise la source officielle.
Lancée en juin, l'Agence de régulation du cannabis (ANRAC), chargée de contrôler toute la chaîne -- de la production jusqu'à la commercialisation des dérivés du chanvre -- étudie les premières candidatures d'industriels intéressés. Ensuite, c'est à partir des besoins formulés par ces derniers que les cultivateurs pourront se manifester auprès de l'ANRAC et se constituer en coopératives.
La loi de 2021 prévoit que "l'autorisation de la culture de cannabis n'est octroyée que dans la limite des quantités nécessaires pour répondre aux besoins des activités de fabrications de produits à des fins médicale, pharmaceutique et thérapeutique". Ainsi, seuls les habitants des provinces rifaines d'Al Hoceima, Chefchaouen et Taounate seront autorisés à faire pousser du chanvre.
En 2019, les cultures de kif couvraient 55.000 hectares dans le nord-est du royaume, y faisant vivre entre 80.000 et 120.000 familles, selon des chiffres officiels. Les militants associatifs locaux se mobilisent pour expliquer aux cultivateurs les aspects techniques du projet. "Le travail de médiation est compliqué pour des raisons procédurales. Mais si la démarche des autorités est inclusive, alors de belles choses peuvent être réalisées", explique Soufiane Zahlaf, représentant des villageois d'Azila d'où il est originaire.