Dépression : un déséquilibre chimique ?
80 % du grand public estime que la dépression est causée par un déséquilibre chimique. Une publication scientifique révèle que cette donnée reste à prouver.
Alors qu'elle touche une personne sur 5, la dépression reste mal comprise.
"L'idée que la dépression est le résultat d'anomalies chimiques dans le cerveau, particulièrement de la sérotonine, a été très influente durant des années. Cette idée explique une importante justification de l'utilisation des antidépresseurs. En dépit de cette influence, aucune revue scientifique n'a jamais synthétisé les preuves."
C'est ainsi que s'expriment les auteurs d'une publication en date du 20 juillet parue dans Molecular Psychiatry. Ils ont analysé toutes les revues systématiques ou les méta-analyses portant sur le sujet (il s'agit de travaux analysant toutes les études publiées dans un domaine).
"Dans la compréhension de la dépression et de l'effet des traitements antidépresseurs, l'hypothèse principale est appelée « hypothèse sérotoninergique »", clarifie le Pr Florian Ferreri, psychiatre. "En d'autres termes, le manque de sérotonine au niveau cérébral expliquerait la dépression et l'efficacité des antidépresseurs s’expliquerait par le fait qu'ils augmentent le taux de la sérotonine cérébrale. On sait cependant que d’autres mécanismes neurobiologiques sont en cause."
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Le rôle de la sérotonine non prouvé
La conclusion des auteurs de la publication est sans appel. "L'énorme recherche chez l’homme sur le rôle de la sérotonine dans la dépression n'a pas produit de preuves convaincantes sur l'origine biochimique de la dépression."
"L'hypothèse sérotoninergique est ancienne et n'est pas une vérité absolue. Les études à son sujet sont très hétérogènes. Force est de constater que nous n'avons pas un niveau de preuves très élevé sur le fait que la sérotonine soit massivement et durablement perturbée dans la dépression !"
Des données déjà connues
"Cette publication est de type "umbrella study" donc elle fait la synthèse des différentes revues publiées sur le sujet", remet en perspective le Pr Florian Ferreri. "Elle n'apporte donc pas de nouvelles données mais les compile pour un éclairage plus récent."
De l'aveu même des auteurs, la publication a des limites : la fiabilité de cette analyse est liée à la qualité méthodologique des études incluses, qui n'est pas parfaite. Le nombre de participants est faible, limitant la portée des résultats.
"Les auteurs ont uniquement sélectionné les études sur les êtres humains, en sachant que nous nous basons aussi sur les données animales", précise également le Pr Ferreri.
La dépression, une maladie aux causes multiples
L'apport de cette publication reste important. Il s'agit de la première "umbrella study", compilant les données disponibles à ce jour sur le rôle de la sérotonine. "Les auteurs rappellent deux choses importantes", synthétise le Pr Ferreri. "Tout d'abord, même si le modèle théorique de la sérotonine est intéressant, nous avons encore besoin de beaucoup d'études pour confirmer l'hypothèse sérotoninergique chez l'être humain. Cela montre aussi que ce n'est pas la seule hypothèse permettant d'expliquer les perturbations de la dépression".
Un postulat qui est connu depuis plusieurs années puisque d'autres mécanismes ont déjà été mis en avant.
"La dépression fait intervenir d'autres neuromédiateurs que la sérotonine comme la noradrénaline et la dopamine, mais aussi des phénomènes d'inflammation et de plasticité cérébrale, ainsi que des récepteurs comme le récepteur NMDA et le GABA", précise le psychiatre.
L'environnement, par le biais des facteurs de stress (comme dans un chômage ou une séparation), intervient également, en sachant que nous n'avons pas tous la même capacité à les gérer. La vulnérabilité génétique joue sans doute un rôle puisqu'une personne dont le parent est dépressif a 2 à 4 fois plus de risque d'avoir une dépression.
De nouveaux traitements et techniques, un enjeu capital
La dépression n'a pas encore livré tous ses secrets et encore moins tous ses mécanismes.
Concernant le traitement par antidépresseurs, il en existe plusieurs classes agissant sur différents mécanismes. L'une d'entre elles cible la sérotonine. Si la publication estime que les antidépresseurs ne sont pas efficaces, un certain nombre de méta-analyses montrent qu'ils sont plus efficaces qu'un placebo et soulagent de nombreux patients. La prise d'antidépresseur doit souvent être associée à une psychothérapie dans les dépressions graves.
"Cette publication permet de rester humble dans ce que l'on sait sur la dépression", conclut le Pr Ferreri. "Elle montre la nécessité de mettre au point de nouvelles stratégies médicamenteuses utilisant d'autres voies que celle de la sérotonine, comme la kétamine. Elle incite également à l’utilisation de nouvelles techniques de stimulation cérébrale telles que la stimulation magnétique transcranienne répétée, la rTMS".