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Maroc : Des centaines de personnes se disent "hors-la-loi" pour défendre leur liberté sexuelle

Pour légaliser l'avortement et abroger les lois contre les relations sexuelles hors mariage, plus de 470 Marocains ont signé une tribune, co-rédigée par la romancière Leïla Slimani et la réalisatrice Sonia Terrab.

Badr Kidiss
Rédigé le
Le manifeste des 470 Marocains contre la répression sexuelle

Alors que l’emprisonnement de la journaliste Hajar Raissouni pour avortement et relations sexuelles hors mariage ravive le débat sur les libertés sexuelles, plusieurs citoyens marocains ont signé un appel co-rédigé par la romancière Leïla Slimani et la réalisatrice Sonia Terrab. Ces hommes et femmes réclament l'abrogation des lois réprimant les libertés sexuelles et affirment leur solidarité avec les victimes de cette législation. Leur tribune a été publiée sur le quotidien français Le Monde, et la voici : 

Nous, citoyennes et citoyens marocains, déclarons que nous sommes hors la loi

Plus de 470 Marocains, en majorité des femmes, signent une tribune, rédigée par la romancière Leïla Slimani et la réalisatrice Sonia Terrab, pour demander l’évolution de la législation de leur pays en matière de sexualité
Nous, citoyennes et citoyens marocains, déclarons que nous sommes hors la loi. Nous violons des lois injustes, obsolètes, qui n’ont plus lieu d’être. Nous avons eu des relations sexuelles hors mariage. Nous avons subi, pratiqué ou été complices d’un avortement. Nous avons appris à feindre, à composer, à faire semblant. Pour combien de temps encore ?

Chaque jour, chaque heure, en secret, en cachette, des femmes comme moi, des hommes comme toi, conservateurs ou progressistes, personnalités publiques ou anonymes, de tous les milieux et de toutes les régions, osent et s’assument, jouissent et existent par eux-mêmes, brisent des chaînes et bafouent des lois. Parce qu’ils aiment.

Chaque jour, je me rends coupable d’aimer et d’être aimée. Chaque fois qu’une femme est arrêtée, je me rends complice. Je me dis : ça aurait pu être moi… Puis je me tais, je passe mon chemin, je m’efforce d’oublier… Mais je n’y arrive plus. Je n’en peux plus. Car mon corps m’appartient, il n’appartient ni à mon père, ni à mon mari, ni à mon entourage, ni aux yeux des hommes dans la rue, et encore moins à l’Etat.

Aujourd’hui, je ne veux plus avoir honte. Moi qui aime, avorte, ai des relations sexuelles sans être mariée. Moi qui me cache. Moi qui risque le déshonneur, l’infamie, la prison. Cette culture du mensonge et de l’hypocrisie sociale génère la violence, l’arbitraire, l’intolérance. Ces lois, liberticides et inapplicables, sont devenues des outils de vengeance politique ou personnelle. C’est une épée de Damoclès qui nous menace et nous rappelle que notre vie ne nous appartient pas. Comment l’accepter ? Pourquoi l’accepter ? Encore et encore…

En 2018, au Maroc, 14 503 personnes ont été poursuivies au regard de l’article 490 du code pénal, qui punit de prison les relations sexuelles hors des liens du mariage. 3 048 personnes ont été incarcérées pour adultère. Chaque jour, dans notre pays, entre 600 et 800 avortements clandestins sont pratiqués. Faut-il mettre toutes ces personnes en prison ? Leurs "complices" (médecins, militants associatifs) aussi ?

Nous croyons que la société marocaine est mûre pour le changement et pour que soient enfin entérinés le respect de la vie privée et le droit de chacun à disposer de son corps. Notre société et notre pays méritent cela. Nous appelons nos gouvernants, nos décideurs, nos législateurs, à faire preuve de courage, à faire ce pas en avant, en engageant un débat national sur les libertés individuelles. Ce n’est pas un luxe, ce n’est pas une faveur, c’est une nécessité.

Comment favoriser l’épanouissement de la jeunesse, comment permettre la juste implication des femmes dans la société, comment engager réellement notre pays dans le progrès, dans le développement humain, si nos libertés individuelles ne sont pas respectées, si notre dignité est foulée au pied, si nous restons toutes et tous hors la loi ? Toutes et tous hors la loi, jusqu’à ce que la loi change.

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