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Paludisme : trois questions à Yap Boum II, épidémiologiste

Le paludisme est un vaste problème de santé public sur le continent africain. Et dans la lutte contre cette maladie, l'un des principaux défis des prochaines années est l'émergence d'une résistance aux traitements. Allodocteurs Africa a interviewé Yap Boum II, épidémiologiste d'Épicentre à Yaoundé.

Alicia Mihami
Rédigé le , mis à jour le
Yap Boum II est épidémiologiste pour Épicentre, la mission de recherche en épidémiologie de Médecins sans frontières

La récente découverte au Rwanda d'une résistance des parasites responsables du paludisme au traitement à base d’artémisinine pourrait compliquer la lutte contre cette maladie infectieuse en Afrique. En juillet dernier, cette même résistance des parasites aux traitements donnés aux personnes atteintes par le paludisme a fait des ravages dans les pays d'Asie du Sud Est.La Worldwide Antimalarial Resistance Network (WWARN) estimait à l'époque que "si cette résistance aux médicaments se propage davantage ou émerge en Afrique, des millions de vies seront alors en danger". Pour mieux comprendre les risques liés à l'émergence d'une résistance aux traitements antipaludéens, Allodocteurs Africa a interrogé Yap Boum II, épidémiologiste à Yaoundé pour Épicentre, la mission de recherche en épidémiologie de Médecins sans frontières (MSF).

Allodocteurs.Africa : Aujourd'hui quelle est l'efficacité des traitements antipaludiques face à l'apparition de résistances ?

Yap Boum II : Les médicaments à base d’artémisinine ont été introduits il y a une vingtaine d’années, parce qu’il y avait des résistances aux précédents médicaments, comme la quinine, et des effets secondaires indésirables. On a donc mis en place des traitements avec des combinaisons multiples de médicaments, pour plus d'efficacité. Et on s’est posé la question : quelles pourraient être les solutions alternatives en cas de résistance ? L'étude au Rwanda mettant en avant les premières preuves cliniques de la résistance à l'artémisinine, c'est la preuve qu'on est face à un véritable challenge. Sans nouveau traitement, on va se retrouver face à des situations où on n’aura plus de solutions thérapeutiques face à une des plus grandes maladies qui sévit en Afrique. Et le prix à payer sera sur les enfants surtout ! Cette étude devrait être un appel pour les chercheurs et les industries pharmaceutiques pour faire avancer la recherche pour de nouveaux traitements. 

A.D.A : Quelles sont les pistes justement, pour ces nouveaux traitements ? 

YBII :  La piste du vaccin continue d'être explorée, même si il y a eu beaucoup d'échec, notamment lors des essais de phase 3. Le Covid-19 peut avoir un impact positif et faire avancer la recherche sur les vaccins antipaludiques, avec ce qu'on sait sur les adenovirus, l'ARN messager... On peut mettre à profit ces outils. On a aussi envisagé d'associer un vaccin, qui ne serait pas assez efficace tout seul, à des protocoles médicamenteux, ou bien de renforcer la prévention avec des moustiquaires traitées avec des répulsifs. Et il faut plus de moyens pour la recherche au niveau local, et pour étudier les solutions alternatives. Il faut par exemple mettre des moyens dans la recherche autour de l'artemisia, qui semble avoir des résultats prometteurs ! Il faut étudier toute la plante, voir si elle peut repousser l'apparition des résistances, comprendre ce qui est efficace ou pas... Là aussi, c'est le moment de profiter de la pandémie. La médecine traditionnelle a été largement mise à profit pendant la crise. Il faut le prendre en compte : 80% des patients qui arrivent à l'hôpital avec une forme grave du Covid-19 ont probablement pris autre chose avant de se présenter aux urgences, mais on ignore encore les effets secondaires, la complémentarité avec d'autres traitements qu'on peut administrer. Tout ça doit être étudié. 

A.D.A : Quel est le rôle du trafic et de la consommation de faux médicaments dans l'apparition de ces résistances ? 

YBII : C'est un vrai problème de santé publique. Des millions de faux médicaments ont été retrouvés au Togo, au Bénin, au Nigéria etc. et ce trafic n'est pas suffisamment pris à bras-le-corps par les pouvoirs publics. Il y a une quinzaine d’années, on disait que 70% des antipaludéens disponibles sur le continent africain étaient des faux médicaments, c'est-à-dire que soit ce sont des médicaments qui n'ont rien à voir avec le paludisme, soit des médicaments avec une dose moindre de principe actif. Quand il s'agit d'un médicament qui n'a rien à voir, il faut être très clair, le risque, c'est tout simplement la mort du patient, et c'est criminel. Dans le cas d'un médicament sous dosé, en plus du risque de mort du patient, il y a le risque d'une résistance. Le parasite a le temps de s’adapter à ces doses moindres de principe actif et donc créer des mutations qui lui permettent de résister. C'est un crime qui doit être puni, mais cela met surtout en avant le manque de contrôle, les frontières poreuses, le manque d'équipement et de ressources humaines pour assurer la sécurité du circuit d'approvisionnement en médicaments.  

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