Pr Lawrence Essama Eno Belinga : "Les cancers ORL sont en nette augmentation au Cameroun"
Principalement liés à la consommation de tabac et l'alcool, les cancers de la bouche progressent de manière inquiétante au Cameroun.
À l’occasion de la Journée mondiale de la santé bucco-dentaire, le 20 mars dernier, l’hôpital général de Douala a mené une campagne pour sensibiliser et consulter de jeunes patients, qui sont les plus touchés par les maladies de la bouche. Pour en savoir plus sur cette campagne et les cancers causés par les maladies bucco-dentaires, on a échangé avec la professeure Lawrence Essama Eno Belinga, chirurgienne dentiste et parodontiste à l'hôpital général de Douala. Entretien.
Allo Docteurs Africa : Pourquoi avoir ciblé essentiellement les plus jeunes lors de votre campagne de sensibilisation ?
Pr Lawrence Essama Eno Belinga : Les maladies bucco-dentaires peuvent être évitées grâce à une bonne hygiène. Et comme les bonnes habitudes s’acquièrent tôt, nous avons ciblé de jeunes élèves pour mieux les sensibiliser. Nous leur donnons le maximum d’informations, les outils nécessaires pour qu’ils puissent adopter les bonnes pratiques.
A.D.A : La prévention est votre principal cheval de bataille…
Pr L.E.E.B : Oui, car la prise en charge de ces pathologies
a quand même un coût, et tous les patients ne possèdent pas une assurance
maladie. Alors que la prévention des maladies bucco-dentaires passe par une bonne hygiène, ce qui ne coûte pas grand-chose : il faut avoir une brosse à dents, une pâte dentifrice fluorée et puis, se brosser les dents le matin et le soir
après le repas. Deux minutes suffisent pour éviter beaucoup de dégâts. Car les maladies parodontales sont responsables d’accouchements prématurés, de maladies vasculaires ischémiques et entraînent également un déséquilibre de diabète. Ce sont autant de bonnes raisons de miser sur la prévention.
A.D.A. : Pour quelles pathologies votre service est-il le plus souvent sollicité ?
Pr L.E.E.B : Les cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS) ou cancers ORL (qui représentent l'ensemble des cancers de la bouche, du pharynx, du larynx, des sinus et de la face) sont en nette augmentation au Cameroun. 3 cas sur 10 sont des cancers buccaux.
Les caries dentaires et les maladies parodontales, qui sont des pathologies infectieuses, sont liées essentiellement à ce qu’on appelle la plaque bactérienne, résultat de la mauvaise hygiène bucco-dentaire. Les caries sont dues à la consommation excessive d’aliments sucrés associée à une mauvaise hygiène bucco-dentaire. Pour les maladies des gencives, ça va être une accumulation des bactéries sous la gencive qui vont entraîner une inflammation chronique de la gencive avec les manifestations cliniques qu’on connait (saignement, gonflement des gencives) et parfois, le déchaussement jusqu’à la chute spontanée des dents.
Pour les cancers, ce sont les mêmes facteurs de risques que les autres maladies chroniques. C’est-à-dire que ça va être la consommation de tabac et/ou d'alcool qui irrite localement la muqueuse buccale. Sans oublier la présence de virus qui sont des facteurs de cancers de la bouche.
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A.D.A : Comment gérez-vous les cas de cancer ?
Pr L.E.E.B : La prise en charge des cancers buccaux est multidisciplinaire. Le chirurgien dentiste va procéder au diagnostic par le dépistage des lésions cliniques. Il va couper un bout de tissu malade, qu’il va envoyer au spécialiste pour analyse. Lorsque le diagnostic du cancer est établi, le patient est dirigé vers un service d’oncologie pour faire un bilan d’extension. La prise en charge sera par la suite discutée avec d’autres spécialistes, en fonction de l'évolution du cancer. Mais il y a une incidence de plus en plus élevée des cancers buccaux au Cameroun. Raison pour laquelle nous demandons aux gens de venir consulter nos dentistes parce que le dépistage la plupart temps des cancers buccaux est tardif.
A.D.A : Y a-t-il un espoir de guérison pour ceux qui souffrent du cancer de la bouche ?
Pr L.E.E.B : Ben sûr. C’est pour cela qu’il faut que chaque individu vienne consulter au moins une fois par an son chirurgie dentiste. Parce que le cancer de la bouche, c’est quelque chose qui peut apparaître comme une petite blessure qu’on néglige, une petite boule, comme un petit bourgeonnement qu’on néglige. Plus tôt c’est dépisté, mieux c’est traité. Pour l’heure malheureusement nous avons 80% de patients qui souffrent d’un cancer de la bouche qui est à un stade avancé. Des thérapies sont mises en place pour les traiter, mais tout va dépendre du type de cancer, de sa nature histopathologique. On va savoir s’il est agressif, s’il y a déjà des métastases . Tout dépend dès lors d’un certain nombre de choses.